À BEYROUTH, DES JEUNES MARGINALISÉS APPRENNENT À VIVRE ENSEMBLE

Nada MERHI | OLJ

SOCIAL

L’ONG March a inauguré hier le centre de la Défense civile, dans le secteur Cola, au terme de près six semaines de travaux dans le cadre de ses projets de capacitation de la jeunesse marginalisée.

Au siège régional de la Défense civile dans le secteur Cola, à Beyrouth, l’ambiance était hier à la fête. Les volontaires en uniforme s’activent à aligner les chaises, arranger le son, monter la tribune… Au terme de près de six semaines de travail assidu, l’heure était à l’inauguration de cet espace rénové grâce à une initiative de March, une ONG qui œuvre depuis sa fondation à la capacitation des jeunes des régions « oubliées » et « marginalisées », en les impliquant dans des projets sociaux.

Forte de son expérience réussie à Tripoli où elle est parvenue à réunir, autour de plusieurs projets, au nombre desquels un spectacle, un café culturel et plusieurs chantiers de reconstruction, les anciens combattants des quartiers rivaux de Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, l’ONG a décidé de dupliquer cette expérience à Beyrouth à travers un projet sociétal. « Il était naturel pour nous de penser en premier à la Défense civile, parce que cette institution représente le Liban dont nous rêvons : un groupe de volontaires qui n’hésitent pas à servir leur pays, affirme Léa Baroudi, présidente de March. Malheureusement, ils ne sont toujours pas estimés à leur juste valeur et ne reçoivent pas le soutien nécessaire. »

Aussi, pour mener à bout ce projet, l’ONG, qui bénéficie du soutien de l’ambassade de Grande-Bretagne, a recruté vingt jeunes de régions marginalisées de Beyrouth, « qu’on évite » et qui « font l’objet de préjugés » : Ghobeyri, le secteur de la Cité sportive, le quartier dit de « tôle », Chiyah, Tarik Jdidé… Elle a appris à ces jeunes laissés-pour-compte des métiers de construction, tout en leur assurant « tout le soutien nécessaire pour se réconcilier avec eux-mêmes, se rapprocher les uns des autres, et aussi pour devenir indépendants », explique Léa Baroudi. Elle précise que les projets menés par March visent à « briser ces barrières géographiques, communautaires et régionales que nous érigeons ».

Une communauté soudée

Mamdouh, Samir et Mohammad habitent dans le secteur de la Cité sportive. « Les gens issus de ce quartier sont considérés comme des voyous », avance Mamdouh. « Jusqu’à il y a quelques semaines, je n’avais aucune occupation, renchérit Mohammad. Je suis sans papiers et ne peut donc rechercher du travail. Je passais mes journées entre la maison et la rue. Je n’avais rien d’autre à faire. » Idem pour Waël, 19 ans, habitant Chiyah, qui confie qu’avant d’intégrer le projet, « je végétais à la maison ». « Je passais mon temps à dormir, manger et boire du café », dit-il.

Pour ces jeunes, le projet initié par March a été une aubaine. « Mon ami m’en a parlé, raconte Mohammad. L’idée m’a plu. Je sentais que je pourrais opérer un changement dans ma vie. Je n’ai pas eu tort. Je suis analphabète. Dans le cadre de ce projet, j’ai appris à lire. J’ai appris aussi un peu d’anglais et de maths. Maintenant je sais faire des calculs et des factures. Côté professionnel, j’ai appris beaucoup sur les métiers de construction. J’ai appris à les faire avec précision. »

Pour Samir, « ce projet revêt une double importance, parce que non seulement j’ai appris un métier, mais j’ai aussi rencontré des jeunes de communautés et de régions différentes ». « Au fil des semaines, nous sommes devenus un groupe soudé, poursuit-il. Nous avons appris à vivre ensemble. Nos querelles ne durent pas longtemps. »

Comment pensent-ils continuer après cette expérience ? « Je n’aimerais pas continuer à vivre comme je le faisais avant », assure Mohammad. Mais vu la situation par laquelle passe le pays, il n’espère pas pouvoir trouver du travail rapidement.

Léa Baroudi souligne que March n’abandonne pas les jeunes une fois le projet terminé. « À Tripoli, nous avons réussi à placer plus de quarante bénéficiaires de nos programmes dans une entreprise privée, se félicite-t-elle. D’autres ont appris un métier qu’ils exercent. Il est sûr que nous n’allons pas lâcher ces jeunes. Nous poursuivrons avec une petite pièce que Georges Khabbaz, comédien et metteur en scène, a écrite pour eux. Puis nous allons les impliquer dans la rénovation du centre de Bachoura de la Défense civile. Nous trouverons toujours de petites opportunités qui leur permettent de devenir indépendants. »

Volontariat, altruisme et dévouement

La cérémonie d’hier s’est déroulée en présence notamment du directeur général de la Défense civile, le général Raymond Khattar, représentant la ministre sortante de l’Intérieur. Dans une allocution, il a expliqué que les travaux comprenaient la rénovation du bâtiment existant, la construction de nouvelles salles et l’équipement du centre avec du matériel de secours. Il s’est penché sur les problèmes que rencontre la Défense civile dont les volontaires tardent à être titularisés, « espérant qu’ils le seront au début de l’année prochaine ».

L’ambassadeur de Grande-Bretagne, Chris Rampling, a de son côté mis l’accent sur la mission de la Défense civile qui « incarne le vrai esprit du volontariat, de l’altruisme et du dévouement ». « Nous vous avons vu risquer vos vies pour sauver les autres », a-t-il poursuivi, soulignant qu’aujourd’hui, « les jeunes vous le rendent ». Et d’insister : « Le Liban passe par une importante phase de son histoire. Nous avons vu les Libanais à travers le pays exprimer leurs revendications légitimes pour la réforme, la transparence et une meilleure gouvernance. Les Libanais ont montré qu’ils rejettent la division. Ils veulent un Liban uni dans la paix, la prospérité et la coexistence. Aujourd’hui a été l’occasion de réitérer notre soutien aux volontaires de la Défense civile qui donnent leur temps pour sauver la collectivité. »

Georges Khabbaz, qui soutient inconditionnellement March, a affirmé que les ONG, avec à leur tête March, ont du mérite parce qu’elles ont contribué à l’éveil que le Liban connaît depuis le 17 octobre.