EN “MARCH” AVEC LÉA BAROUDI

L’Officiel Levant

Contre la peur de l’autre et les conflits sectaires qui minent le Liban, une jeune femme a pris le parti de rapprocher les jeunes de communautés opposées. Entre théâtre, musique et lieux de rencontre, Léa Baroudi (OBE) multiplie les ponts et donne envie de les franchir.

La trentaine à peine et déjà une longue histoire dans l’action humanitaire, Léa Baroudi vient d’être nommée membre honoraire de l’ordre de l’empire britannique (Honorary Member of the Order of the British Empire) pour ses efforts dans la promotion des libertés d’expression, des droits de l’homme, et sa bataille pour l’acceptation du pluralisme religieux au Liban. Elle qui a grandi dans une maison où la tolérance et le respect des différences étaient de rigueur, n’aime pas être identifiée à une “activiste”, mais plutôt à une personne qui rapproche les gens les uns des autres. Après un diplôme en business à l’AUB, un autre à HEC et plusieurs années de travail dans un bureau de consultation, elle crée en 2011 l’association MARCH.

Ce projet, elle le ruminait en fait depuis 2005, année où les tensions sectaires furent particulièrement aigues au Liban. Cette peur de l’autre, elle l’avait même ressentie dans son entourage. C’est ainsi qu’en 2010, un regroupement “impulsif et spontané” d’amis prend forme avec une décision commune : s’activer pour prôner un éveil à la mansuétude. Une premiere initiative, “Al Bosta Natretna 3al Kou3” lieu dans les environs de l’ancienne ligne de demarcation de Beyrouth avec des jeunes mobilisés pour distribuer des fleurs blanches en signe de paix et de “plus jamais ça”. Le bouche à oreille médiatique fait écho à l’international, et des associations encouragent la naissance de l’ONG MARCH.

Café, théatre et catharsis

En 2012, Léa Baroudi suit une formation en médiation, Elle constate qu’après la guerre civile libanaise, le silence a continue à régner sur les événements et leurs causes, et les gens n’ont pas fait leur deuil. Les peurs n’ont donc pas été résolues. Après avoir visionné la pièce de Zeina Daccache, “Twelve Angry Men”, réalisée avec la contribution de prisonniers, Baroudi décide de faire de la scène sa plateforme de résolution des conflits. Elle choisit Tripoli comme première étape de travail. La “capitale du Nord” venait d’être témoin, en 2014, de combats sectaires entre les quartiers avoisinants de Bab el-Tebbane et Jabal Mohsen. Seize jeunes hommes (8 de chaque quartier) ayant participé aux combats acceptent de jouer “Guerre et amour sur le toit” une pièce cathartique montée par Lucien Bourjeily. Ce spectacle sert de thérapie aux jeunes des deux communautés, qui se lâchent, tombent le masque et narrent leurs parcours difficiles. Loin de s’arrêter là, et souhaitant faire davantage pour ces jeunes des quartiers défavorisés, Baroudi ouvre avec leur aide et leur soutien un café culturel entre les deux quartiers dits “chauds”. Ce café, baptisé “Kahwetna” est aujourd’hui un lieu de rencontre pour ces jeunes qui ont réussi à accepter et surmonter leurs différences religieuses, et qui ont réalisé qu’il y avait entre eux davantage de raisons de se rapprocher que de s’opposer. L’endroit leur offre, entre autres, des ateliers de formation et des activités culturelles et sportives. Par ailleurs fervente adepte de l’inclusion des femmes dans la société, Léa Baroudi lance en 2016 le projet “Beb el-Dahab” regroupant des hommes et des femmes des deux zones en crise pour reconstruire ensemble ce que leur guerre a détruit. Pendant que les hommes renovent les magasins de l’intérieur, les femmes, elles, refont les enseignes. Tous suivent, en parallele, un programme complet de réhabilitation. L’immense bénéfice social, psychologique et émotionnel qu’ont tiré ces jeunes de Tripoli de ce modèle de “réhabilitation sociale” a été répliqué à Beyrouth. Là les jeunes des quartiers de Khandak el-Ghamik, et Tarik Jdide se sont retrouvés autour de la pièce “Hona Beyrouth”, écrite par Yehia Jaber.

Un café « Hona Beyrouth” a aussi fleuri dans le quartier de Horch Beyrouth pour les mêmes raisons qu’à Tripoli : à travers les ateliers proposés, rapprocher les jeunes de différentes religions et les guider vers l’acceptation d’autrui, quelle que soit leur appartenance, ainsi que leur donner de l’espoir et la possibilité de se construire un avenir meilleur. Les jeunes de la région délaissée du Akkar ont eu de même l’opportunité de jouer dans une pièce faite pour eux : “Habib el-Kell” écrite par Nehme Nehme.

Toujours sur sa lancée avec l’aide de quelques pays Européens et de la Grande Bretagne qui vient de l’élever au titre de Chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique (OBE) Léa Baroudi aimerait montrer au gouvernement libanais que MARCH est un modèle durable à soutenir. L’ONG qui essaie de son mieux de s’adapter aux besoins des habitants de chaque région construit à présent un centre vert au Chouf. Le but principal de ce nouveau projet qui pourrait s’étendre à d’autres régions est de permettre la création d’un écosystème pour contenir l’exode rural.